Aurore-Caroline Marty développe de multiples récits entremêlant de plus en plus l’art vivant, l’art sonore, la photographie et l’artisanat. Sa pratique ne cesse de s’élargir : elle s’adonne depuis plusieurs années à l’expérimentation de nouvelles techniques comme le vitrail, la taille de pierres, la broderie, le batik ou bien la fonte de métal. Ainsi, l’artiste se plait à poser un nouveau regard sur un matériau et une technique afin d’en extraire de nouvelles formes. Plutôt que de s’intéresser à des savoir-faire dits « tendance », elle se tourne allègrement vers des matériaux et des procédés considérés aujourd’hui comme désuets afin d’en révéler leurs potentiels fantastiques. Ne souhaitant pas hiérarchiser les matériaux, elle les confronte naturellement avec des matériaux plus nobles. Éprise d’une compassion pour certaines couleurs et matériaux mal-aimés, elle n’hésite pas à employer de la peinture rose saumon, du violet ; de la mousse isolante, des frites de piscine ou du papier peint « effet marbre ». Elle ne cherche aucunement à dissimuler ou à costumer les matériaux laissant apparaître volontairement leur aspect « cheap ».
Depuis 2014, Aurore-Caroline Marty chine des objets – plus improbables les uns que les autres – pour agrémenter son incroyable « kitschothèque ». Fleurs artificielles, nains de jardin, bibelots à motifs animaliers en porcelaine ou encore collection de statuettes de la vierges Marie, sont autant d’éléments qui constituent une source inépuisable d’images et de formes glanées dans diverses boutiques et brocantes. Ainsi, tout ce qu’elle a sous la main vient compléter une pièce en cours de production ou peut devenir le point de départ d’une idée nouvelle. L’artiste – en jouant de ce que peut offrir la société de consommation – met en scène des dispositifs envoûtants. Les volumes s’érigent et, d’ordinaire, elle y adjoint paillettes, froufrous, perles tissus « shiny » ou revêtement « glossy ».
Lors d’une récente résidence au Bénin, Aurore-Caroline Marty remarque rapidement que les noms des boutiques qu’elle croise ont presque systématiquement un rapport au divin. Le mot « Divine » lui est apparu comme une image subliminale et, si l’on reprend sa définition dans le Larousse, cet adjectif signifie : qui est dû à Dieu, ou à un être assimilé à la divinité, ou une chose que l’on trouve exceptionnelle ; parfait, sublime. L’emploi de ce terme, qu’il soit lié au sacré ou à la beauté, révèle l’essence même de sa pratique.
KOMMET, installé dans le quartier de la Guillotière, est voisin de nombreux commerces tels qu’un magasin de vêtements, une fromagerie et de plusieurs fast-foods. Depuis l’extérieur du centre d’art, on observe un vinyle adhésif doré apposé sur les vitrines indiquant la présence d’une nouvelle enseigne. Pour son exposition personnelle, Aurore-Caroline Marty décide d’implanter pendant deux mois Divine, une boutique aux allures d’un salon de beauté. Le décor est planté. Est-ce un lieu totalement inanimé ou un commerce en cours de finition prêt à ouvrir ?
Aux allures d’une maquette de Barbie, les visiteurs/clients qui passent le pas de la porte observent des mobiliers et des objets mouvants aux fonctionnalités altérées. Aurore-Caroline Marty s’amuse des codes et des clichés pour recréer différents objets que l’on s’attend à retrouver dans ce type de boutique : comptoir à l’entrée, coiffeuses, peignes, produits de beauté, paravent, fauteuils, etc. L’espace devient en quelque sorte le fragment d’une réalité parallèle. L’artiste y fait co-exister des époques multiples, juxtaposant des références au divin, à la mythologie, ou à la culture populaire émanant de contes, de films de Walt Disney ou de séries comme Ma sorcière bien aimée (1964-1972) ou bien Une nounou d’enfer (1993-1999).
Dans ce décor inanimé quasi cinématographique, Aurore-Caroline Marty simule la fonction de miroirs en utilisant du stratifié noir glossy. Clin d’œil à la série Black Mirror (2011), l’artiste imite ici le « miroir noir » d’un écran éteint. Elle questionne alors la pratique du « selfie » à l’ère de la surconsommation des écrans et rejoue à sa manière le mythe de Narcisse. Notons également la présence d’énigmatiques mains roses manucurées tenant entre leurs doigts des bougies électriques de sapin de Noël. Le dispositif rappelle une scène du film La Belle et la Bête réalisé par Jean Cocteau où des bras musclés déplaçaient alors des candélabres. Des formes étranges continuent de se déployer et d’imprégner l’espace d’exposition. À l’image de créatures mythologiques et vaudous prenant l’apparence d’un être mi femme mi serpent, des nattes de cheveux synthétiques s’exhibent dans le salon. En effet, un coquillage semble avoir englouti une femme ou peut-être à l’inverse, est-elle en train de s’extraire de sa coquille ? Le doute persiste et toute une série d’étrangetés se succède à KOMMET.
Toute cette mise en scène nous entraîne dans plusieurs réalités : celle d’un monde artificiel immergé entre deux eaux, plongé dans le passé et tourné vers un ailleurs rétrofuturiste aux accents mystiques. On se laisse volontiers séduire par le salon de beauté Divine puis, par mégarde, on entame une progressive incursion dans un univers qui est finalement loin d’être rose.
Emilie d’Ornano, mai 2022.
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Tarte
A la fois bien garnie et potentielle gifle, substantif et adjectif, il arrive même qu’on se prenne sa crème en plein visage. Son épaisseur prête à entarter alimenta ainsi une mécanique efficace du burlesque. Alors on en rajoute une couche, on gratine encore un peu la convenance. Quitte à être quiche.
Aurore-Caroline Marty dessine une nouvelle situation d’objets, nourrie par une récente résidence au Bénin, et par son voyage permanent au pays de l’ornement. Son salon de beauté aiguise un vocabulaire ayant trouvé depuis longtemps son aisance, et redouble par ce qu’il représente, le soin apporté à l’esthétique.
Joël Riff, Curiosité – 2022 semaine 27 – Corps radieux