Apologie
Exposition solo du 13 septembre au 7 novembre 2025, 2angles, Saint-Georges-des-Groseillers.
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Chiens, chats, poissons … On pourrait croire aux pensionnaires d’une animalerie, mais il s’agit des membres de la kitschothèque d’Aurore-Caroline Marty. Figés en céramique sous des émaux brillants, ils côtoient des vases, des lampes, des masques et forment un ensemble éclectique que l’artiste entretient depuis plus de dix ans. Éternelle passionnée des brocantes, vide-greniers et Emmaüs, mais ensevelie par ses trouvailles, elle décide de se donner pour règle de n’acheter que des objets qui nourrissent sa pratique artistique. Sur ce principe ainsi établi, à l’Emmaüs dans les environs de Nantes en 2015, elle déniche un vase à l’intérieur plaqué or, recouvert d’une couche en volume de matière noire, mi-volcanique, mi-lunaire. Il trouve sa place dans l’installation Apollo en 2015, pour une exposition personnelle et in situ aux Ateliers Vortex. Par cet objet incongru, plus par inadvertance et plaisir coupable, que par intentionnalité, elle commence sa collection. Alimentée au quotidien et en parallèle de sa pratique, au gré de ses pérégrinations, sa collection est un réservoir, une banque d’images et de formes, dans laquelle elle vient piocher. Les objets qu’elle recueille ponctuent ses installations, s’insérant dans des décors oniriques et géométriques fabriqués main. En attendant, ils patientent, immobiles et joyeux, sur les étagères de son atelier, classés par typologies et familles. C’est par le regard des personnes qui lui rendent visite, impressionné·es par la foisonnance de sa collection, que l’artiste prend la mesure de ce qu’elle est en train de constituer : une bibliothèque du kitsch, générationnelle et géographique, puisqu’elle se concentre sur des artefacts des années 1980-1990, typiques de la société de consommation française de l’époque. Objets de masse, ils sont reconnaissables entre mille, par leur matière – principalement la céramique -, par leurs couleurs pastel et leurs reflets irisés. Ils témoignent du goût d’une époque, que l’on qualifie aujourd’hui volontiers de douteux, si ce n’est de mauvais. À rebours d’une esthétique ultra-contemporaine épurée, aux lignes franches et aux couleurs neutres, ce sont les vestiges d’intérieurs surchargés et chatoyants. Et c’est justement parce qu’ils sont abandonnés et mal-aimés, qu’Aurore-Caroline Marty s’y attache, portée vers eux par une forme de compassion. Malgré cet affect humain qui l’anime, elle ne s’intéresse pas à leurs provenances, ni à leurs histoires, mais bien à leurs qualités plastiques et esthétiques qui les disqualifient d’un système de mode et de tendance. Oui, disons-le franchement, ils sont has-been, mais pour l’artiste ils méritent mieux que l’oubli et le rebut. Leur exclusion par rapport à la norme du bon-goût attise son désir et sa sensibilité. Elle assume pleinement cette inclinaison sentimentale pour les objets, délibérément matérialiste, en dépit des perceptions péjoratives de ce terme. Plus encore, elle privilégie les bibelots décoratifs inutiles, sans emploi précis et attendu, et confirme par là son plaisir à jouer avec les normes établies, celles d’une société minimaliste et standardisée, tout autant qu’efficace et fonctionnelle.
Forte de l’accumulation de trésors, tous plus rutilants et loufoques les uns que les autres, menée sur une décennie, sa kistchothèque avoisine les quelques 200 objets. L’envie de la présenter, comme une œuvre à part entière, se dessine progressivement et voit enfin le jour avec Apologie, son exposition à 2 Angles. Pour l’occasion, Aurore-Caroline Marty a fait une sélection de 120 objets domestiques, présentés sur trois lignes horizontales superposées. Les uns à côtés des autres, ils sont placés sur des étagères sur-mesure, et organisés selon un dégradé de couleurs du transparent au noir, en passant par le beige, le rose, le bleu et le vert. L’artiste, mue par la volonté de les sublimer, fait le choix d’une présentation aux allures muséographiques, telles que l’inconscient collectif peut se l’imaginer. Derrière ses apparences neutres et lisses, l’espace muséal conserve pourtant la facétie propre à l’artiste. On y pénètre par un portail fait de drapés colorés, une entrée mi-Madame Irma, mi-manège à sensation, toute en volupté et fronces. Le ton kitsch est subtilement donné et nous porte naturellement vers les objets. Les socles muraux épousent leurs courbes, les accompagnent de légers halos colorés et agissent discrètement au service de leur légitimité artistique. Rappelant ainsi la généalogie du geste artistique d’Aurore-Caroline Marty, on suit le changement de statut des objets, de leur rôle de figurant dans des structures-sculptures au rôle principal qu’ils acquièrent enfin avec Apologie.
Andréanne Béguin